L'évolution récente de la législation - loi Climat, nouveau Code de la commande publique - permet de progresser vers des achats publics plus responsables. Plusieurs conditions doivent encore être remplies pour rendre cette orientation irréversible, explique Jean-Charles Decaux.
Méconnue des citoyens car technique dans ses procédures et disséminée dans ses projets, la commande publique est un moteur essentiel de l'économie. Représentant entre 8 % et 10 % du PIB en France, elle est mise en œuvre par les acheteurs publics - Etat, collectivités territoriales et d'abord les communes et les intercommunalités, bailleurs, hôpitaux - et obéit à des normes applicables à 130.000 acteurs, des grandes entreprises aux PME.
Poumon de la relance face au choc de la pandémie, l'achat public est aussi un levier décisif pour relever les principaux défis de la nation. Pour réindustrialiser les territoires et renforcer la compétitivité des entreprises françaises ou européennes face à la concurrence internationale en affirmant, par exemple, des clauses environnementales comme l'analyse du cycle de vie d'un produit ou d'un service afin de soutenir l'économie circulaire. Pour œuvrer à la transition écologique et agricole - dont la COP26 a rappelé l'urgence - par une politique d'achats en faveur des écomatériaux pour les équipements publics ainsi que des circuits courts pour approvisionner les cantines scolaires. Pour atteindre le plein et le bon emploi lorsqu'un acheteur ou une autorité concédante érige en priorité l'insertion et la lutte contre la précarité au travail pour le jugement des offres et l'exécution des contrats.
Hiérarchie des critères
Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics agissent pour rendre l'achat public plus durable dans le cadre des règles de mise en concurrence. Le nouveau Code de la commande publique en vigueur depuis 2019 en témoigne, ainsi que la loi Climat et Résilience. Promulguée en août dernier, elle opère une révolution tranquille : des obligations - et plus seulement des incitations - feront de l'environnement, du droit social et de l'emploi des principes directeurs des marchés publics et des contrats de concession. C'est l'avènement possible d'une véritable « écommande publique » : fondée sur l'utilité économique et l'exigence écologique, elle promeut l'éco-disant face à la logique du moins-disant et œuvre ainsi à une société de la qualité. Pour rendre irréversible cette orientation souhaitable pour l'intérêt général, trois conditions doivent cependant être remplies.
Tant que le critère prix-redevance demeurera prépondérant, l'apport des clauses favorables à l'environnement, à l'emploi mais aussi à l'innovation sera pénalisé. La hiérarchie des critères doit donc être révisée afin qu'y devienne « premium » le développement durable dans toutes ses dimensions.
Autre facteur clé : le temps. Le législateur a fixé un délai maximal de cinq ans pour la mise en place des dispositions favorables à une commande publique toujours plus responsable. Nul besoin d'attendre ce délai pour la rendre possible.
Réciprocité des normes
Enfin, pour conjuguer l'ouverture à la mondialisation et la consolidation de notre modèle de développement fondé sur de hauts standards sociaux et environnementaux, l'Europe doit faire prévaloir la réciprocité des normes dans les échanges commerciaux avec le reste du globe au-delà des seuls secteurs de l'eau, de l'énergie et des transports. « Tous concurrents et que le moins cher l'emporte » ne peut être le mot d'ordre d'une mondialisation fondée sur le progrès humain. L'actuelle Commission européenne a opéré sur ce front une réorientation bienvenue que la présidence française de l'Union européenne peut utilement amplifier.
Qualité, durabilité et efficacité sont au cœur des attentes de nos concitoyens. Pour y répondre, la commande publique n'est pas le moindre des atouts de la France et de l'Europe.
© Romain Beurrier- Rea